La révolution de la mobilité : l’éclairage d’un dirigeant du Groupe Renault

Philippe Brunet
En avril dernier, 51±¬ÁĎ School a reçu Philippe Brunet, Alliance Senior Vice President, Powertrain and EV Engineering, Renault-Nissan-Mitsubishi, membre du ComitĂ© de direction du Groupe Renault, ancien Ă©lève de l’école (APP 1988), pour une confĂ©rence sur la mobilitĂ©.
Il a accepté de répondre à nos questions et de nous livrer un éclairage sur les principaux enjeux auxquels sont aujourd’hui confrontées les entreprises du secteur de la mobilité et de l’automobile.

 

Le contexte et les enjeux environnementaux au niveau mondial : quels sont-ils et qu’est-ce que cela implique en termes de contraintes pour les constructeurs automobiles ?

Philippe Brunet :  Â« Pour les acteurs du secteur de la mobilitĂ© et des transports, ce n’est pas seulement une Ă©volution qui est en train de se jouer, c’est une rĂ©volution profonde. 
Les enjeux environnementaux sont passés au premier plan, avec deux aspects :
-    au niveau local, en particulier dans les villes, les normes visent Ă  rĂ©duire les Ă©missions de particules pour maĂ®triser la pollution et prĂ©server la qualitĂ© de l’air. 
-    ensuite, Ă  l’échelle de la planète, il y a l’augmentation de la concentration des gaz Ă  effet de serre qui a des consĂ©quences sur le rĂ©chauffement climatique. Les pays dĂ©clinent des rĂ©glementations qui ont pour objectif de rĂ©duire les Ă©missions de CO2, comme le Corporate Average Fuel Economy (couramment appelĂ© CAFE) en vigueur aux Etats-Unis et utilisĂ© par extension en Europe, mais aussi dans d’autres pays, comme la Chine (CAFC) ou encore la CorĂ©e (CAFK). 

Dans ce contexte et dans le prolongement du dieselgate de 2015, les constructeurs doivent désormais adresser les deux problématiques en même temps.
En effet, on constate :
-    une sĂ©vĂ©risation sans prĂ©cĂ©dent des normes d’émissions, notamment en Europe avec l’introduction du RDE (Real Driving Emissions) qui renforce les mesures et Ă©largit les conditions des tests en situation de conduite rĂ©elle ;
-    une accĂ©lĂ©ration de la frĂ©quence de renouvellement des normes ;
-    une pression mĂ©diatique sans prĂ©cĂ©dent, relayĂ©e notamment par de nouveaux acteurs (ONG, municipalitĂ©s…), et qui se mondialise, ce qui est un phĂ©nomène nouveau.

C’est une vraie rupture par rapport au contexte que nous avons pu connaĂ®tre auparavant. Et elle concerne tous les constructeurs automobiles ! 
Une des consĂ©quences : les ventes de diesel chutent. 

Les enjeux, pour les véhicules particuliers à l’échelle mondiale, sont tirés par les marchés européen et chinois, les plus sévères sur les aspects environnementaux. Il est indispensable pour les constructeurs de prendre en compte de nouveaux standards et de développer de nouvelles technologies. »
 

Quelles sont les diffĂ©rentes technologies envisagĂ©es par les acteurs et les principaux verrous Ă  lever ? Quels sont les scĂ©narios possibles ?

Philippe Brunet : Â« Dans un contexte oĂą les restrictions de circulation dans les villes sont de plus en plus frĂ©quentes et oĂą les niveaux d’émissions dans les phases de dĂ©marrage Ă  froid des vĂ©hicules sont amenĂ©s Ă  diminuer, il est nĂ©cessaire de renforcer le traitement des gaz d’échappement et d’électrifier les groupes motopropulseurs.
Le challenge est donc double pour les constructeurs : il faut pouvoir investir sur la totalitĂ© des technologies (moteurs essence/Ă©lectriques/hybrides) et rester compĂ©titifs pour le client, tant sur le plan du coĂ»t du vĂ©hicule Ă  l’achat que sur celui du cycle de vie du vĂ©hicule*.

La maĂ®trise des Ă©missions liĂ©es aux moteurs thermiques oblige Ă  investir dans les technologies de post-traitement, ce qui reprĂ©sente environ 30 % (voire plus) du prix du moteur ! Par ailleurs, le coĂ»t de la batterie reprĂ©sente actuellement environ 50 % du coĂ»t de la voiture (et non du moteur !). 

Dans ce contexte, l’hybridation peut être vue comme une technologie de transition, en attendant que le coût des batteries devienne inférieur aux coûts des technologies liées au post-traitement. Tout l’enjeu consiste à réduire le coût des batteries, tout en augmentant leur compacité, leur autonomie et en réduisant leur temps de recharge !

Et, puisque la performance d’une motorisation hybride dépend de la performance du moteur thermique, le moteur essence n’a pas dit son dernier mot ! Principalement pour cette première raison, mais aussi parce que certains marchés sont demandeurs de moteurs essence quasi-exclusivement. C’est le cas en Russie, par exemple, où la réglementation CAFE n’est pas déployée à ce stade.

Les constructeurs étudient néanmoins des technologies alternatives très intéressantes comme l’hydrogène et la pile à combustible. Mais de nombreuses problématiques demeurent encore : l’espace de stockage qui permettrait d’avoir une autonomie suffisante, la production d’hydrogène propre et le déploiement d’infrastructures dédiées. Ces technologies pourraient néanmoins trouver une application dans le domaine des poids lourds, le temps que leur maturité soit suffisamment avancée pour une application au véhicule particulier. »
 

Pourquoi parlez-vous de rĂ©volution de la mobilitĂ© ? Qu’est-ce qui se joue actuellement derrière toutes ces transformations ?

Philippe Brunet : Â« Les constructeurs sont soumis Ă  des contraintes externes extrĂŞmement fortes qui les obligent Ă  accompagner des changements intrinsèques profonds. C’est pourquoi, on peut aujourd’hui parler de rĂ©volution.

Le défi technologique consiste à dépasser de nombreuses contraintes :
-    les contraintes de coĂ»ts, d’abord. Elles sont liĂ©es Ă  la maturitĂ© des technologies. A cela s’ajoute une autre source non nĂ©gligeable d’augmentation des coĂ»ts : le dĂ©veloppement de toute la connectivitĂ© embarquĂ©e des vĂ©hicules dans le contexte du dĂ©ploiement de la conduite autonome.
-    les contraintes de temps, ensuite, avec la rĂ©duction des temps de dĂ©veloppement due Ă  la sĂ©vĂ©risation et Ă  l’accĂ©lĂ©ration du rythme des nouvelles rĂ©glementations. Il faut ĂŞtre capable de prĂ©parer l’avenir, tout en rĂ©pondant aux attentes prĂ©sentes dont les enjeux sont parfois très diffĂ©rents.
-    la nĂ©cessitĂ© d’investir sur plusieurs technologies en mĂŞme temps car il n’existe pas de solution unique. Les infrastructures tout comme l’accessibilitĂ© des Ă©nergies alternatives sont Ă  dĂ©velopper.
-    les attentes des clients sont variables d’un pays Ă  l’autre et ces attentes tout comme les rĂ©glementations pourront Ă©voluer diffĂ©remment en fonction des pays.

Par ailleurs, dans cet Ă©cosystème en pleine transformation, le dĂ©fi humain est crucial. La transformation technologique est d’abord motivĂ©e par les normes qui se sĂ©vĂ©risent au rythme d’un renouvellement qui s’accĂ©lère. En consĂ©quence, Ă©merge le risque que la transformation des mentalitĂ©s et des habitudes des clients ne s’opère pas aussi vite que celle des technologies. Les utilisateurs, par exemple, ne sont pas prĂŞts Ă  payer plus aujourd’hui pour un vĂ©hicule plus vert. 

L’acceptabilité sociétale est une problématique de taille. Maintenir des prix abordables est donc un impératif pour les constructeurs automobiles.

Tout cela implique des transformations internes sans prĂ©cĂ©dent : accompagner les changements, transfĂ©rer des compĂ©tences. 

Il faut faire les bons choix stratĂ©giques et former les Ă©quipes aux technologies d’avenir, tout en continuant Ă  travailler et Ă  produire pour rĂ©pondre aux attentes prĂ©sentes. 

La seule chose qui est certaine, c’est que la réponse se trouvera dans la capacité des acteurs à être agiles et à faire preuve d’adaptabilité. »


* Total Cost of Ownership (TCO), en anglais.